Fondu de fromage

Il a sillonné la planète des fromagers et s’en est revenu auréolé d’un titre de vice-champion du monde. Dans sa boutique bayonnaise, Christophe Gonzalez invite aux délices du palais. Mise en bouche.

Huit Japonaises autour de lui, vingt mots appris par cœur pour faire couleur locale et pousser une porte. Pas n’importe quelle porte : celle de la plus grande fromagerie de Tokyo, qui fournit les tables étoilées Michelin de la capitale nippone.

Voilà comment le basque Christophe Gonzalez est parti, le fromage au fusil, défier l’Empire du Soleil Levant. Armé léger, mais l’homme ne manque pas d’audace.

Tout commence par une boutade d’étudiants. Une forme de « chiche ! » qui va sceller deux destins. « Mon meilleur ami et moi venions de finir nos études de commerce, à Bayonne. Études qui m’avaient amené en stage à Londres et favorisé des échanges passionnants avec de nombreux asiatiques, autour de bons repas. Nous étions en recherche de vocation. Ainsi m’est venue l’idée de mixer mon appétence aux échanges culturels et à la gastronomie. Ce que l’on a traduit par : « à moi le fromage, à toi les alcools ». Mission accomplie : lui est fromager, son ami œnologue.

Diplôme en poche, Christophe Gonzalez repart à Londres. Il y apprend le métier pendant 3 ans chez Androuet, l’inventeur de la fromagerie de centre-ville. Enseigne iconique : début XXème, ce dernier eut l’idée de s’approvisionner dans les campagnes en fromages jeunes, pour les affiner en ville.

Mais pour le jeune Basque, c’est surtout l’envie d’Asie qui s’affine.

Tokyo, donc. Au culot, avec un visa d’un an « Programme Vacances Travail », sans parler un mot de japonais. Un an qui débute par cet entretien d’embauche singulier, après avoir postulé… sur Facebook. « Je n’en revenais pas qu’elle me réponde ! ». A 24 ans, il fait donc face à huit Japonaises et récite ce texte appris par cœur, pour dire combien il y mettra du cœur. L’entretien se poursuit en anglais et le bonhomme convainc les Nippones. Il sculpte des fromages, découpe des camemberts en seize parts au cutter - en conservant le papier dessus - pour les Ducasse, Bocuse, Robuchon et cie. Une année ô combien formatrice pour la minutie et le soin du produit.

Retour en France à Bordeaux puis Paris, chez celui qu’il admire et sera son mentor, le crémier-fromager Laurent Dubois, Meilleur Ouvrier de France. « C’est grâce à lui

que j’ai commencé à passer des concours, dont le championnat du monde où j’ai décroché la 2ème place, en 2017. Inespéré pour une première présentation ! Je voulais savoir ce que je valais. »

Il a su. Connaissances générales, dégustations à l’aveugle, découpes académiques de fromages de densité différente pour en juger le poids rien qu’à la vue... Il réussit tout, jusqu’à frôler le Graal.

De la Coupe à la découpe

Son titre l’incite à prendre des risques. Il propose ses idées et son savoir à un fromager qui monte, au Luxembourg. Pas concluant et surtout pas au niveau d’exigence qu’il s’impose à lui-même, après avoir travaillé pour les plus grands fromagers de Tokyo, Londres ou Paris.

C’est l’heure des grandes décisions. Petit fromager devenu grand se sent légitime à ouvrir sa propre enseigne. Ce sera donc chez lui, au Pays basque. Et l’homme a son idée sur la façon de proposer du

fromage. Il dessine puis, aidé d’artisans locaux, conçoit des vitrines dignes d’une joaillerie. Lumière tamisée, plateaux sur pied, décoration raffinée, tout y est ! Même le papier d’emballage n’est pas commun : du papier « cristal », qui ne transfère aucun goût à la pâte du fromage.

Parce que Christophe Fromager - le nom de l’enseigne - vend à la part. Pas de manipulations, de dégradation du produit lors de la découpe, de problématique de séchage ou d’hygiène. Vous êtes emballé ? Le fromage aussi et vous repartez illico avec un joyau de la vitrine. Vous hésitez ? Faites confiance au nez du fromager. Au nez ? « Oui, parce qu’un fromager doit guider les clients en leur indiquant le goût qu’ils auront en bouche : épicé, doux, fort, acide ou amer. » L’odeur dit le goût.

Restent les grandes questions : le fromage, accompagné de vin blanc ou vin rouge ? « Qu’importe, tant que ça vous plaît. Mais plutôt vin blanc, des vins légers qui vont mettre en valeur le fromage. Je mets cependant un bémol : si votre plat principal était accompagné de vin rouge, ne venez pas au blanc… » OK. Et sinon, du pain avec le fromage ? « Non !!! Une dégustation, c’est sans pain ! Si c’est pour conclure un repas, alors là, bon, d’accord… »

D’accord aussi pour élargir les horizons. Après la boutique bayonnaise de la rue Argenterie, en 2018, Christophe Gonzalez remet le couvert fin 2023, à Saint-Martin-de-Seignanx. Avec succès.

Mais il était dit qu’il ne s’arrêterait pas à la porte des Landes. La faute à sa marotte d’enfance : la vidéo. Il achète une caméra et commence à partager sur les réseaux sociaux son goût pour le dressage et la mise en scène de ses fromages. « J’ai filmé mes dressages de façon un peu hollywoodienne, juste par plaisir. Sauf que certaines vidéos ont fait des millions de vues et m’ont offert une exposition mondiale ! Depuis, j’ai été invité à Dubaï ou Ryad pour expliquer comment je dresse mes plateaux de fromage, à Monaco pour servir sur des yachts ou à Lisbonne pour l’ouverture d’un bar à fromage. » Des parenthèses qui donnent une nouvelle saveur à son quotidien basco-landais.

Le revoici donc à arpenter la planète fromage. On revient toujours à ses premières amours.

Marc Dupeyron - Tél. : 06 75 35 85 98 - contact@marcdupeyron.fr